Historique du salon de Versailles

 

 

« La Société Versaillaise des Artistes d’Île de France » se nommait autrefois la « Société des Amis des Arts de Seine et Oise ».

 

 


Jehan DESPERT en fit un historique lors du 120ème Salon de VERSAILLES en 1984 que nous restituons ici dans son intégralité :

 


Le dimanche 2 juillet 1854, le « Journal de Versailles et du Département de Seine et Oise » publiait en première page un long article, annonçant, sous la signature d’un certain Chevalot,’ qu’une « Société des Amis des Arts » venait de se constituer à Versailles « sous les plus heureux auspices », ajoutant fort judicieusement :

« Versailles, la ville aux chefs-d’oeuvre artistiques, aux grands et éloquents souvenirs, ne pouvait rester plus longtemps en arrière du mouvement qui entraîne de jour en jour les cités notables de province vers les institutions destinées à propager le goût des belles choses… »

 

Ainsi venait de naître quasi officiellement, cette « Société des Amis des Arts de Seine et Oise », qui prendra cent ans plus tard (ler février 1954) le titre sous lequel nous la connaissons aujourd’hui, de « Société versaillaise des Artistes d’Ile de France« , et dont nous célébrons en 1984, le cent trentième anniversaire qui fait d’elle une des plus anciennes sociétés artistiques de notre pays.

 

Certes, il avait existé à Versailles une certaine « Société Royale d’Agriculture et des Arts », dont « l’Almanach spécial de Versailles« , publié en 1838 par Locard-Davi, imprimeur-lithographe-éditeur, 19 avenue de Saint-Cloud, nous donne la définition et les buts, mais en 1854 nous sommes sous l’Empire, et cette société ne semble plus avoir d’activités artistiques, non plus que le petit groupement de peintres et sculpteurs qui exposaient aux alentours de 1850 dans la Salle du Jeu de Paume, et dont il est vraisemblable que la nouvelle Société a tout simplement inclus ou absorbé les éléments actifs dans ses rangs.

 

La première réunion de la jeune Association eut lieu le dimanche 15 octobre 1854 sous la présidence de Monsieur de Candole, et en présence de Monsieur Rémilly, Maire de Versailles, qui prononça un vibrant discours dont la péroraison est un beau morceau d’éloquence :

« …l’arbre, frêle d’abord, et simple arbrisseau, croîtra vite au soleil de la faveur publique, et bientôt abritera sous son ombre élargie, toute la ravissante tribu des beaux-arts. »

Pour bien dîtes qu’elles soient, ces belles paroles ne protégeront pas l’arbrisseau des tempêtes d’automne, puisqu’un mois après, Monsieur de Candole donnait sa démission.

Ce qui n’empêche pas la Société d’organiser en septembre 1855 – dans l’euphorie tricolore de la prise de Sébastopol – la première exposition des « Amis des Arts » dans les salons du 9 de la place d’Armes…

 

Jules Rigo - dévouement héroïque du Maire Hyacinthe Richaud

Jules Rigo – Dévouement héroïque du Maire Hyacinthe Richaud

Le « clou » de ce Salon est la toile de Jules Rigo qui célèbre le dévouement héroïque du Maire Hyacinthe Richaud, le 9 septembre 1792, toile figurant actuellement dans le vestibule menant au cabinet du premier magistrat de notre cité.

 

Ainsi le départ a-t-il été donné, et désormais, l’exposition annuelle et les manifestations théâtrales ou musicales qui sont organisées par les « Amis des Arts« , font-elles partie des fastes de la société versaillaise.

 

En 1867, la presse locale prétend que c’est une erreur d’avoir organisé un salon alors que tout le monde a les yeux tournés vers l’Exposition Universelle, et une vive polémique éclate alors entre les journaux de tendances opposées, et ce, d’autant plus que la Société a reçu une subvention de 6.000 Francs de la Ville.

 

Cependant, en 1869, tout le monde se réconcilie et approuve l’initiative démocratique de la Société qui a invité les enfants des Ecoles Publiques à visiter le Salon sous la conduite de leurs maîtres. Le 4 juin 1870, la Société, qui n’oublie pas qu’elle est l’amie de tous les arts, organise un concert au Grand Théâtre.

 

Hélas, les échos des derniers flon-fions seront à peine éloignés que la guerre, la défaite, l’occupation, la chute de l’Empire, la Commune, le Traité de Francfort, les difficultés de tous ordres, accaparent les esprits et les coeurs, et ce n’est qu’en février 1872 que nous reprendrons contact avec les « Amis des Arts » qui, avec les 2.000 francs qui restent en caisse, organisent une soirée musicale au Grand Théâtre, ainsi qu’une Exposition assortie d’une tombola. Les artistes – parmi eux Corot et Millet – et leurs amis ont généreusement donné, puisque ces manifestations, tous frais payés, rapportent 4.000 francs, qui seront remis à la souscription patriotique pour la libération du territoire.

 

La_Quintinye

La Quintinye de Cougny

En 1876, le salon a lieu dans la grande salle de distribution des prix du Lycée Hoche. Le prix d’entrée en est de 50 centimes, et permet d’admirer, entre autres, le modèle de la statue de La Quintinye par Monsieur Cougny, et qui, coulée en bronze, figure encore maintenant sur la terrasse de l’Ecole Nationale d’Horticulture.

 

Le salon de 1877 regroupe quelques quatre cents exposants, mais la Société, qui compte alors six cents membres, artistes et amis, ne borne pas son activité aux seules expositions. Ses soirées musicales et théâtrales sont très suivies. C’est ainsi que les 8 et 11 juin 1878, Madame Favart et Monsieur Coquelin aîné font des salles combles. Tout cela pour une cotisation annuelle de 10 francs (or, il est vrai). Mais ne sommes-nous pas précisément, au début de l’âge d’or?
La jeune IIIe république fait ses premiers pas sous l’oeil de grand-papa Mac  Mahon, et ce XIXe siècle, qui a commencé dans le tonnerre des révolutions, s’achemine tranquillement vers son terme dans la douce quiétude bourgeoise.

 

La « Société des Amis et des Arts » va connaître, elle aussi, une ère de prospérité. En 1896, le critique de « Versailles -Illustré, », Firmin Javel, note qu’un astucieux (?) numérotage des toiles permet de s’y retrouver facilement, et demande perfidement si l’on ne pourrait pas

« indiquer le moyen de distinguer les bonnes toiles des mauvaises ».

En 1899, le Salon a lieu dans une des ailes du château, cependant que La 47e Exposition se tient du 8 juillet au 23 septembre 1900 dans l’Orangerie. La dépense occasionnée par la somptuosité de la réception organisée dans ce lieu prestigieux provoque de sérieuses inquiétudes, lors de l’Assemblée Générale du 16 décembre suivant, qui se réunit dans la Salle des Conférences de l’Hôtel de Ville récemment inauguré, et où l’on constate amèrement que « la Société ne s’enrichit pas ».

Pour la première fois, en 1902, l’exposition a lieu dans les salons de l’Hôtel de Ville, mis à la disposition de la Société par le Maire Edouard Lefebvre, cependant que l’année suivante, le cinquantième salon y est célébré avec éclat en présence du Directeur des Beaux-Arts, Monsieur Roujon (le même qui refusera le ruban rouge à Cézanne).

 

Et les expositions se succèdent, réunissant les artistes de la région, véritables manifestations mondaines inscrites au catalogue des festivités versaillaises traditionnelles. On se retrouve au Salon ou au concert des « Amis des Arts » .

 

On regarde, on écoute, on converse, on commente, et un mode de vie sur le point de disparaître trouve ici son expression la plus parfaite. Le 61e Salon est inauguré le 2 juin 1914 à l’Hôtel de Ville. La liste des récompenses attribuées cette année-là est des plus impressionnantes, puisque le « Journal de Versailles » du 4 juin, cite près de 80 lauréats (prix, médailles, mentions…). Il est vrai que le catalogue compte plus de 700 noms! Hélas, il reste deux mois de paix!

 

Pendant quatre ans, les journaux n’imprimeront guère que les communiqués et les listes, chaque jour plus longues, des soldats tués. Un petit 62e salon eut lieu pourtant en 1915, dont la presse parla timidement, puis ce fut le silence. Le pays souffrait trop !

 

Cependant, dès 1920, et la paix revenue, les artistes survivants se regroupèrent et la société put organiser un concours de dessin et de composition décorative doté de 450 francs de prix. Le 64eSalon a lieu en juillet-août 1921 dans l’Orangerie du Château. En 1924, l’exposition se tient dans le même temps que la « Foire aux antiquaires », et les artistes se sont vus relégués sous les Cent-Marches, ce qui provoque de sévères et légitimes mécontentements, mais l’année suivante, elle réintègre la salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville. « Le Réveil de Versailles » nous apprend à cette occasion que, désormais, on ne décernera plus que deux prix : celui du Ministre (sans préciser lequel) et le Prix du Salon. Autre temps, autres moeurs !

 

En 1931, pour cause d’Exposition coloniale, on a repoussé le 74e Salon en octobre-novembre, mais on l’accompagne de deux matinées artistiques, cependant que celui de 1935 a droit à de très longs articles dans « Les Nouvelles de Versailles » accompagnés de nombreuses reproductions des toiles exposées. En 1938, c’est Henri Bidou qui fait un éloge enthousiaste du 81e Salon dans le même hebdomadaire, cependant que le 4 mars 1939, Henry-Haye, Sénateur-maire de Versailles inaugure le 82e Salon. Mais une fois encore, l’histoire mondiale se précipite. On parle de « drôle de guerre » jusqu’en mai 1940, où alors, ça n’est plus drôle du tout.

 

Et des années terribles s’installeront, quatre années de bottes, d’étendards à croix gammée, de couvre-feux, de tickets, de haines, d’héroïsme, de sang, de trahison et de sacrifices, quatre années pendant lesquelles nos artistes, s’ils travaillent encore, n’ont ni le coeur, ni la possibilité d’exposer. Les « Amis des Arts » sommeillent, attendent, espèrent. N’ont-ils pas traversé d’autres tempêtes, subi d’autres tornades?
A 82 ans, on sait ces choses-là, et on connaît la vertu de la patience. C’est ainsique trois mois à peine après la Libération, un communiqué publié par « La Chronique versaillaise » annonçait à ses lecteurs que les « Amis des Arts« , qui venait de constituer un nouveau comité, préparaient un récital et un « Salon de la Libération ». Le récital eut lieu le 13 mai 1945, sous la direction de Claude Delvincourt, dans la salle des Fêtes de la Chambre de Commerce de Versailles, et le 83e salon, fut installé dans ce même Hôtel du Barry. C’est d’ailleurs dans ce prestigieux et délicieux bâtiment du XVIIIe siècle que se tiendra un 85e salon, qualifié alors de « révolutionnaire », puisqu’il réunissait entre autres, des toiles de Picasso, Braque, Tal Coat, Brianchon, Oudot, Brayer, Terechkovitch, Cavaillès

 

En 1951, par suite d’on ne sait quelles circonstances, le 90e Salon des « Amis des Arts de Seine-et-Oise » émigra en mars à la Grande Galerie… rue du Faubourg Saint Honoré à Paris, mais dès octobre 1953, il réintégra la Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville de Versailles, où le vernissage eut lieu en présence de André Mignot, député-maire et de J.P. Palewski, député de Seine et Oise. C’était là la dernière année de présidence du sculpteur René Janson, qui, pour un an, passa le flambeau au peintre Alfred Chambret. Cette année 1954 marquera le centenaire de la Société, et le vernissage à l’Hôtel de Ville fut l’occasion pour le Président de rappeler brièvement l’historique de la Société devant un parterre de personnalités, dont André Mignot, Louis Amade, Edouard Bonnefous, Jean des Vignes-Rouges… Le 94e Salon ouvrit ses portes en octobre 1955 sous la présidence du peintre Paul Corpus. Là encore, deux prix de 30.000 francs chacun, furent attribués.

 

En 1961, le 100e Salon connut un grand retentissement dans la presse qui célèbre la jeunesse et l’éclectisme de l’exposition qui

« marque un sensible progrès sur les précédents ».

Le nouveau Président, le peintre Orner Robiati, en accueillant la foule des invités et les personnalités départementales et communales, souligna :

« la mission rédemptrice de l’Art qui, dans l’absurde de notre vie, est cheminement et espoir. »

A cette occasion fut publiée une plaquette pour laquelle l’auteur de ces lignes écrivit l’historique de la Société, préfacé par Jean des Vignes-Rouges. Passées les festivités du Centenaire (exposition, banquet, conférence de Jehan Despert sur « La spiritualité de l’Art« , attribution de nombreux prix, etc) la « Société versaillaise des artistes de l’Ile de France » (souvenons-nous, elle a pris ce nom en 1954) coule des jours paisibles, attachée à faire de son Salon annuel une manifestation dont la qualité et l’éclectisme auraient dû recueillir l’approbation de tous les amateurs.
Or, peu à peu, disparurent ceux qui avaient été les « piliers », les chevilles ouvrière du Salon depuis des lustres : le graveur Raymond Brechenmacher, l’aquarelliste Pierre Huvelliez, les peintres Eugèné Delaporte et Edouard Miller, artistes talentueux et d’un dévouement à toute épreuve, et, lentement, l’enlisement de l’habitude, ce danger mortel des créations humaines, s’installa, provoquant une série de crises internes que certains n’ont pas oubliées, et le départ du Président Robiati.

 

Il y eut alors quelques années de flottement jusqu’en 1976, quand Marcelle Mauguin accepta la responsabilité de la présidence. S’appuyant sur la confiance et l’amitié du Maire André Damien et de la Municipalité de Versailles, ayant renouvelé l’équipe dirigeante, Marcelle Mauguin sut, grâce à sa ténacité, à son enthousiasme et à son talent, rendre à la vieille Société une vitalité qu’elle avait peu à peu perdue.

 

Le Salon de 1977 eut encore lieu à l’Hôtel de Ville, mais l’année suivante, il prit ses nouveaux quartiers dans les salles du Centre Culturel et Artistique du Boulevard de la Reine, que le Conseil d’Administration de la Caisse d’Epargne avait généreusement mis à sa disposition, et où les Versaillais ont derechef pris l’habitude de se rendre. Chaque salon, articulé désormais autour d’un invité de marque (1977 : Georges Cheyssal1978 : Dunoyer de Segonzac1979 : Georges Hilbert1980 :F. Baboulet1981 : Yves Brayer1982 : Maurice Buffet), réunit annuellement un nombre important d’artistes de toutes disciplines, même s’il n’atteint pas le chiffre record de 700 annoncé tout à l’heure ! Son éclectisme, son ouverture d’esprit, la multiplicité des talents qui s’y manifestent en font une pépinière où chacun peut trouver matière à reflexion et à enchantement.

 

La disparition de Marcelle Mauguin en octobre 1982 fut – si l’on peut dire – la preuve que l’élan qu’elle avait su donner à la vieille société portait en lui des vertus profondes, puisque le 119e Salon devait ouvrir ses portes en décembre autour d’un émouvant hommage à la Présidente qui venait de s’éteindre. Et 1983 vit l’élection à la présidence du peintre Vincent Breton, qui inscrit ainsi son nom dans une longue succession d’hommes et de femmes qui tous, en dépit des vents et des marées, et selon leurs tempéraments propres, maintinrent la Société à flot pendant cent trente ans.

 

Photo du Catalogue du 120 ème Salon

Photo du Catalogue du 120 ème Salon

Ayant ainsi survolé – car le sujet mériterait assurément un volume entier ! – la vie de la « Société versaillaise des Artistes d’île de France« , que dire encore ? Il y a vingt-trois ans lorsque j’écrivis le premier historique de ce Salon, je ne pensais pas qu’il me serait demandé de compléter mon travail d’alors. Et ce m’est une joie profonde que d’avoir pu le faire aujourd’hui. Bien sûr, il aurait fallu multiplier les anecdotes, rameuter davantage de souvenirs personnels, citer beaucoup plus de noms, évoquer plus de visages, retrouver l’écho de voix qui se sont tues et faire revivre tant d’ombres ! Mais ceux qui sont aujourd’hui leurs continuateurs ont la même foi, le même enthousiasme, le même élan, car, en définitive nulle rupture n’intervient – à mes yeux, du moins – entre l’artiste de 1854 et celui de 1984. Si leurs moyens d’expression sont différents, voire parfois opposés, la démarche vers le coeur de l’homme reste et restera toujours la même

 

Jehan DESPERT

Président de l’Académie de Versailles

P.S. Certains se sont étonnés du décalage entre les cent trente années d’existence de la Société, et les seulement cent-vingt Salons qui eurent lieu dans le même temps. Mais ce n’était pas tenir compte des deux dernières guerres au cours desquelles il n’y eut aucune manifestation artistique. Et pour cause !